Lorsque l'on parle de grandes batailles de chars, la plupart des livres et des films mettent en avant les champs de bataille légendaires, comme Prokhorovka, El Alamein ou Ismaïlia. Mais peu nous indiquent comment les chars se sont retrouvés dans des endroits aussi reculés. Ils ne sont pas tombés du ciel : derrière chacune de ces batailles, il y a de très nombreuses heures de travail et de logistique.
Ils sont venus tout seuls ?
Une croyance erronée, véhiculée parfois par des films peu réalistes, laisse penser que les chars arrivent d'eux-mêmes sur le champ de bataille, parcourant des centaines de kilomètres. Bien que cela se soit produit, la façon la plus commune pour transporter les chars pendant la Seconde Guerre mondiale était par voie ferrée ou en utilisant des transporteurs de chars. Il y a plusieurs raisons à cela.
L'une de ces raisons, qui est plus récente que les autres, est la nature même des chars. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les chars étaient des véhicules relativement légers qui pesaient environ une dizaine de tonnes. Les chars de combat principaux d'aujourd'hui atteignent facilement 50 à 60 tonnes. Une telle masse a des effets destructeurs sur le matériau de l'infrastructure sur laquelle roule le tank, mais aussi sur les ponts et d'autres structures de ce type. Bien que nous avons l'habitude de considérer les ponts comme étant des structures robustes (après tout, nous passons dessus en voiture), en réalité un pont peut s'écrouler sous la pression causée par le poids d'un tel véhicule (ou par le poids de plusieurs d'entre eux). Cela posait un sérieux problème pour l'usage en combat des chars les plus lourds apparus à la fin de la guerre : le cas le plus extrême est rencontré avec le Maus et ses 188 tonnes. Très peu de ponts, si tant est qu'il en existe de tels, pouvaient supporter le poids de ce véhicule, ce qui poussa les Allemands à rechercher des méthodes pour le transporter, parfois assez farfelues. Pour faire traverser des rivières au Maus -qui n'est pas amphibie, avec sa propulsion hybride diesel et électricité-, une solution proposée consistait à le faire progresser sous l'eau à l'aide d'un tuba pendant qu'un autre char, situé sur l'autre rive, l'alimentait en électricité à l'aide d'un câble isolant. Les rôles étaient échangés une fois le premier tank arrivé sur l'autre rive.
Le second problème est lié à la robustesse du char. C'était un problème plus aigu auparavant qu'aujourd'hui, mais généralement les tanks ne sont pas conçus pour se déplacer sur de longues distances. Les parties mobiles des chars sont conçues pour résister à des conditions extrêmes, mais il y a toujours un prix à payer pour cela. Pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, quelques-uns des derniers tanks allemands disposaient de moteurs extrêmement puissants, mais conçus pour travailler à pleine charge pendant quelques heures seulement. Depuis, la situation s'est naturellement améliorée : aujourd'hui, une voiture ordinaire peut rouler plus de 100 000 km sans avoir besoin d'une grosse révision, et le char russe T-90 n'a besoin d'une inspection qu'après 11 000 km. Un autre exemple est le moteur W-46 duT-72 polonais, qui est doté d'une durée de vie de 2400 heures.
Enfin, il y a le problème de la consommation en carburant. Un char ordinaire consomme considérablement plus de carburant qu'une voiture, et les champions non officiels de consommation sont les chars à turbine, notamment le Abrams. La consommation officielle en carburant du Abrams est d'environ 400 l d'essence pour 100 km. Ce chiffre extrêmement élevé permet de comprendre pourquoi il est plus facile, et moins cher, de transporter les chars en utilisant d'autres moyens.
Par route ou par rail ?
Il y a actuellement 4 méthodes utilisées par les armées pour transporter des véhicules blindés. Des pays disposant d'infrastructures routières développées, comme l'Allemagne, préfèrent transporter leurs véhicules blindés lourds par la route. Ils utilisent d'énormes tracteurs et remorques, communément appelés transporteurs de tank.
Un transporteur de tank allemand typique est le SLT 50 “Elefant” : avec son moteur diesel Deutz de 734 chevaux, ce monstre (dans sa nouvelle version 50-3) peut transporter un char lourd Leopard 2. La remorque peut supporter jusqu'à 52 tonnes, et la vitesse maximale de ce véhicule est de 65 km. Cependant, pour transporter les versions plus lourdes du Leopard 2, un nouveau transporteur, encore plus grand, a été conçu : il s'agit du SLT 2 70t FSA EK "Mammut". Le “Mammut” peut transporter jusqu'à 73 tonnes. Le développement d'un tel monstre a été rendu nécessaire avec l'augmentation constante du poids des chars de bataille principaux. Pour s'assurer que ces véhicules ne détruisent pas les ponts qu'ils traversent, l'OTAN développa un système de classification des charges militaires (CCM) pour déterminer quelle charge une surface peut supporter sans risque. Des marqueurs orange furent placés dans les pays membres de l'OTAN (spécialement autour des ponts) pour informer les tracteurs ou les pilotes de chars s'il est possible de traverser en sécurité. Les chiffres du CCM représentent la capacité de charge d'une surface en tonnes courtes (la tonne courte est une unité de mesure employée aux États-Unis équivalente à 2000 livres ou 907 kg, NDT). Il y a 11 catégories de MMC pour les véhicules à chenilles et 16 pour les véhicules à roues, cette dernière catégorie prenant en compte le nombre d'axes, la charge par axe, l'espacement entre les axes et le poids brut, alors que les catégories employées pour les véhicules à chenilles prennent en considération la surface de connexion des chenilles et leurs dimensions.
Dans des pays ne disposant pas d'infrastructures routières très développées (spécialement ceux avec des régions isolées, comme la Russie), la méthode préférée pour transporter des chars et par voie ferroviaire. À noter que c'est également le cas pour les États-Unis. Cela ne signifie pas pour autant que les chars ne sont jamais transportés par voie ferroviaire en Allemagne, ou via la route en Russie - c'est simplement une question de préférence. En fait, les concepteurs de chars font aujourd'hui face aux mêmes problèmes qu'ils rencontrèrent il y a 70 ans, c'est-à-dire des contraintes de poids et de taille.
Lors de la dernière décennie, les chars lourds sont devenus de plus en plus lourds, atteignant le poids des chars des jours anciens. Cela a généré des problèmes logistiques, certains véhicules blindés ne pouvant plus rentrer dans des wagons de taille standard. Cela a toujours été un problème en Europe : une des raisons ayant conduit à l'abandon du développement de chars lourds après la Seconde Guerre mondiale était le fait que ces véhicules étaient tout simplement trop gros pour pouvoir être acheminés via les tunnels traversant les Alpes. Un exemple intéressant de ces limitations est le Panzerhaubitze 2000. Vous vous demandez pourquoi son toit est d'une forme si particulière ? C'est pour qu'il puisse être transporté par rail et entrer dans les wagons. Même les chars de combat principaux russes les plus petits rencontrent des problèmes avec la taille des wagons : l'administration ferroviaire russe les transporte en tant que “charge extrême”.
Dans ce cas, on apposera de manière visible un marquage N2200 sur le char (H étant N en russe), un code signifiant “cargaison surdimensionnée”, et les nombres représentent le dépassement par rapport aux standards de taille, sur une échelle allant de 1 à 6. C'est un problème sérieux posé aux concepteurs de chars russes contemporains, car ces chars ne peuvent pas dépasser une certaine taille et un certain poids.
Transporter des blindés ailleurs sur la planète est une problématique entièrement différente. Il y a 2 façons de procéder : soit par la mer, dans des conteneurs, soit par avion. Chaque approche a ses propres avantages et inconvénients : le transport maritime est relativement peu coûteux mais prend beaucoup de temps, tandis que la voie aérienne est très chère et demande des avions spéciaux. Il n'y a pas beaucoup d'avions-cargo capables de transporter un char de bataille principal (le problème est moindre avec des véhicules plus légers), les plus répandus étant le C-17 Globemaster III américain et l'Antonov An-124 Ruslan russe.
Conclusion
La logistique du déploiement de blindés et une science en elle-même, demandant des milliers d'heures de travail à chaque fois qu'une unité blindée doit être envoyée dans un endroit lointain. L'augmentation constante du poids des chars occidentaux est en opposition avec les designs sophistiqués du T-14 Armata russe, qui offre un excellent niveau de protection tout en gardant un poids raisonnable, afin de respecter les limitations très strictes imposées par le ministère de la défense russe.
On peut dire que, comme il y a 70 ans, les chars modernes ont atteint leur limite de poids et de nouvelles méthodes doivent être inventées pour que ces véhicules de combat restent facilement transportables, sans pour autant devenir obsolètes en raison d'un niveau de protection insuffisant.