Il y a beaucoup d'environnements qui sont loin d'être idéaux pour utiliser des chars. Les plaines froides de Russie feront geler les moteurs, tandis que les déserts torrides d'Afrique obstrueront les parties externes avec de la poussière et feront tomber en panne le véhicule le mieux entretenu. Mais peu d'environnements sont aussi hostiles aux tanks que les montagnes élevées, mais c'est dans cet environnement que les tanks légers sont au meilleur de leurs capacités.
Tanque 39, Prague 2012
L'usage de tanks légers dans des régions montagneuses remonte à la Seconde Guerre mondiale, et de nombreux exemples peuvent être cités. Les situations demandaient habituellement le déploiement de blindés dans des zones inaccessibles, selon des demandes stratégiques et tactiques spécifiques qui apparurent pendant le conflit (par exemple l'éradication de partisans), et non par une volonté délibérée d'utiliser ces véhicules dans de tels environnements. Il y a quelques exceptions de pays ayant acquis des blindés avec l'intention de les utiliser dans les montagnes. Un exemple serait l'armée péruvienne, et ses chars légers Tanque 39.
Une partie du territoire péruvien est recouvert par l'une des plus hautes chaînes montagneuses du monde, les Andes. Avec des pics pouvant atteindre jusqu'à 7000 m d'altitude, la topographie du Pérou est extrêmement diverse et englobe plusieurs types de climats. Plusieurs conditions doivent être respectées pour que les blindés péruviens puissent fonctionner dans de telles conditions :
- Les tanks doivent être plutôt petits – les routes de montagne sont assez étroites et un gros véhicule ne peut pas y fonctionner
- Les tanks doivent être assez légers, afin de pouvoir disposer des capacités hors route requises
- Les moteurs doivent être spécifiquement réglés pour fonctionner à des altitudes élevées en améliorant leur admission d'air et leur système de refroidissement. Le point d'ébullition plus faible dans les montagnes réduit l'efficacité du système de refroidissement par eau des moteurs, et le véhicule aurait également besoin de plus d'air par rapport au niveau de la mer, là où l'air n'est pas aussi dense.
D'autres conditions sont plus spécifiques à la région. Depuis le XIXe siècle et l'époque de Simon Bolivar, le Pérou est impliqué dans un conflit territorial avec l'Équateur concernant quelques provinces, qui finit par provoquer de multiples conflits armés. La plupart de ces affrontements ont vu l'usage des forces aériennes mais l'un d'entre eux – la guerre Pérou-Équateur de 1941 (Guerra del 41) – impliqua des chars légers, dont le rôle joua en faveur du Pérou. Ces chars étaient appelés Tanque 39 par l'armée péruvienne, mais leur appellation d'usine était LTP et ils étaient importés de Tchécoslovaquie.
Tanque 39
LTP signifie Lehký Tank, Peruánský (char léger péruvien) et il était construit par ČKD/Praga suite à une demande de l'armée péruvienne. Il était basé sur un autre char léger, appelé TNH. Le TNH était un modèle ayant connu le succès, construit pour l'Iran entre 1935 et 1937. Son succès attira l'attention d'autres acheteurs. Le Pérou était l'un d'entre eux.
TNH char léger pour Iran
Les négociations pour le contrat se déroulèrent entre 1936 et 1938, et furent conduites par le colonel José Tamayo pour le Pérou. La demande la plus importante de l'armée péruvienne était que les véhicules devaient pouvoir opérer de manière indépendante et sans aucun problème à des altitudes élevées – la basse pression de l'air à haute altitude pouvait poser de sérieux problèmes.
Pour compenser cela, les ingénieurs de Praga augmentèrent l'admission d'air en utilisant de meilleurs taux de compression. Les résultats étaient bons – le véhicule pouvait opérer à n'importe quelle altitude jusqu'à 4500 m au-dessus du niveau de la mer, sans aucune perte de performances. Le véhicule devait être léger, avec une puissance de feu raisonnable et une protection adéquate pour son époque.
Naturellement, la question se posait de savoir qui le véhicule devait éventuellement affronter. Le Pérou n'avait pas besoin d'un char de combat principal conçu pour affronter des hordes de Panzers mais plutôt d'un véhicule rapide et agile disposant de suffisamment de puissance de feu pour détruire des barricades d'infanterie et pour être utilisé lors d'opérations anti-insurrectionnelles contre l'infanterie.
L'Équateur n'avait pas de blindés à cette époque (le pays acheta sa première chenillette Marmon-Herrington en 1942, un an après la guerre), donc le niveau de protection de base devait pouvoir résister à des armes antichars légères et à des tirs de mitrailleuses lourdes.
Le tank léger LTP pesait 7,3 tonnes et disposait d'un blindage frontal épais de 25 mm. Il était propulsé par un moteur 125 chevaux Scania Vabis, pouvait atteindre la vitesse maximale de 40 km/h, sa portée opérationnelle était de 190 km et il était équipé d'un canon 37 mm.
LTP prototype
Après environ deux ans de négociations, un accord fut établi portant sur l'achat de 25 véhicules, si les essais du prototype au Pérou étaient couronnés de succès. Le prototype fut officiellement transféré au Pérou, à Lima, sous la direction du capitaine Hector Cornejo (superviseur technique) et ses deux assistants (l'un d'entre eux avait des origines d'Indien d'Amérique).
Le véhicule prototype fut essayé lors des mois suivants et fonctionna parfaitement, gagnant une bonne réputation chez les soldats péruviens. Les archives de ČKD font mention d'un incident pendant les essais dans les montagnes à 3700 m d'altitude en septembre 1938, lorsqu'un véhicule glissa dans une pente sur une route de montagne et fit une chute de 5 m en glissant sur son toit.
Le char, cependant, a été très résistant, les dégâts furent légers et le véhicule fut réparé pendant la nuit par les techniciens de ČKD. Les essais reprirent le lendemain. Cet incident donna un statut légendaire au véhicule. Cette histoire fut racontée de nombreuses fois et les gens commencèrent à croire que le char retomba sur ses chenilles après la chute et continua à fonctionner sans être réparé.
Bien que ce n'était pas vraiment ce qui s'était passé, ces rumeurs contribuèrent à bâtir une excellente réputation aux chars tchécoslovaques en Amérique du Sud.
LTP lors d'essais au Pérou
Au moment de la fin des essais, la mobilisation d'avant-guerre avait lieu en Tchécoslovaquie et les véhicules en cours de fabrication pour le Pérou furent confisqués par l'armée tchécoslovaque. Après l'annulation de la mobilisation, ils leur furent rendus et, en novembre 1938, les six premiers véhicules furent expédiés au Pérou. Un total de 24 tanks furent construits et le dernier arriva au Pérou le 27 février 1939.
Il est intéressant de noter qu'en plus des tanks, le Pérou commanda à Škoda une grande quantité de pièces de rechange, de munitions et de pièces d'armement, ainsi que les tracteurs d'artillerie Praga T-6, un atelier mobile de réparation installé dans la remorque d'un camion, une voiture de transport de personnel Praga AV et un véhicule de soutien Praga RV.
Les tanks connurent le combat pour la première fois en 1939, contre un groupe de rebelles tentant un coup d'État. Ces premiers combats furent un succès et, en juin, les véhicules furent officiellement présentés au public lors de la parade militaire, à Lima.
Guerra del 41
Pendant la guerre frontalière Pérou-Équateur de juillet 1941, 12 des véhicules furent déployés avec succès contre les forces équatoriennes. La guerre en elle-même se déroula du 5 au 31 juillet 1941. Les militaires péruviens disposaient initialement de 11 à 13 000 hommes entraînés (certaines sources affirment jusqu'à 20 000), tandis que l'armée équatorienne n'avait qu'environ 1 400 hommes et aucune arme lourde au début du conflit. Sur ces 1400 hommes :
- 800 étaient des soldats entraînés de l'unité frontalière El Oro, ainsi que des unités militaires proches
- 500 étaient des carabineros (des milices gouvernementales relativement peu formées)
- 100 étaient des volontaires (aucun entraînement)
Il existe deux versions des faits ayant conduit au déclenchement de la guerre. D'après les sources péruviennes, des unités équatoriennes traversèrent la rivière Zarumilla (qui sert de frontière naturelle) et attaquèrent une patrouille frontalière péruvienne à Aguas Verdes. Les forces péruviennes repoussèrent les envahisseurs et les combats prirent de l'ampleur le long de la rivière. Les forces aériennes péruviennes s'engagèrent dans le combat.
Le commandant des forces équatoriennes, le colonel Louis A. Rodriguez, affirme que des soldats équatoriens découvrirent une patrouille péruvienne ainsi que quelques civils qui nettoyaient la végétation du rivage de la rivière, côté Équatorien. Les Péruviens ouvrirent le feu, tuant un soldat équatorien et amplifiant la fusillade avec les Équatoriens.
Quelle que soit la vérité, des unités péruviennes, mieux armées et plus nombreuses, repoussèrent rapidement les Équatoriens de la rivière, tandis que les forces aériennes péruviennes commencèrent à bombarder quelques villes équatoriennes.
Tanque 39 pendant la guerre
Les chars légers apportèrent une aide immense aux forces péruviennes, car les Équatoriens ne disposaient d'aucune arme pouvant les endommager ou les détruire. Les chars pouvaient également franchir des terrains assez difficiles. Lorsque la guerre atteignit des zones avec de meilleures infrastructures, les combats devinrent graduellement plus équilibrés mais, au final, la guerre se termina par une victoire péruvienne. En conséquence, les Péruviens occupèrent l'intégralité de la province d'El Oro et quelques villes dans la province de Loja. Les Équatoriens furent forcés à demander un cessez-le-feu. Cette défaite causa de profonds problèmes économiques en Équateur et posa les bases de plusieurs conflits à venir -il faudra des décennies et 2 guerres de plus pour que ce problème frontalier soit finalement résolu, en 1998.
Quant aux tanks, ils se comportèrent admirablement pendant la guerre. Les Péruviens furent ravis et en souhaitèrent davantage, mais c'était déjà la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des véhicules supplémentaires furent commandés à ČKD en 1946, mais la commande ne fut jamais remplie. Seule une quantité de pièces de rechange furent vendues à l'armée péruvienne en 1950.
Tanque 39, 2014
Les tanks continuèrent leur service pendant trois décennies. Dans les années 70, ils furent utilisés pour combattre les rebelles maoïstes du mouvement du Sentier lumineux et les deux derniers véhicules opérationnels furent utilisés jusqu'en 1998, pour des missions de patrouille près de Calao. À ce moment, ils étaient complètement usés et furent retirés du service, puis furent utilisés en tant que monument militaire. L'un des chars fut revendu à la République tchèque en 2012 et est actuellement en cours de restauration.