Entrée 27 - La route du Sud
Notre deuxième débarquement a été encore plus rapide et plus facile que le premier. Nous connaissions la marche à suivre : échouage contrôlé, descente aussi brève que possible et départ. Heureusement pour nous, le nord de l'Espagne en automne est à peu près aussi chaud qu’un été froid dans le reste de l'Europe, puisque les pluies ne prennent le relais qu'en novembre. Nous avons débarqué loin d'un grand port, ce qui a limite le risque d’être intercepté en cours de route.
Laissez-moi vous dire une chose. L'Espagne est magnifique. Pour quelqu'un qui a l'habitude de voyager comme moi, ce n'étaient pas si impressionnant, mais la plupart des membres de notre équipe n'avaient jamais quitté les États-Unis jusqu'à présent et recevaient en chemin une formation accélérée sur le Vieux Continent.
Nous avions quelques hispanophones avec nous, dont Espinoza elle-même (comme si Murdoch ou Ferguson savaient d'une manière ou d'une autre que nous finirions ici), mais un problème inattendu s'est présenté lorsque nous avons atteint le premier village. C'était un petit village qui ne disposait que d’une seule et unique station-service, d’un magasin et d’un bureau, et les habitants n'étaient pas vraiment avenants envers un grand groupe d'étrangers bien armés qui prétendaient être des Américains. Espinoza, Nunez et un autre mercenaire du nom de Hernandez sont allés négocier tandis que je restais en retrait, à l'affût d’un quelconque signe d'hostilité. Après quelques secondes, le problème était évident.
Bien que parlant espagnol, les deux parties se comprenaient à peine, tant les langues se sont différenciées au fil des siècles entre l'Amérique latine et ici. Finalement, la situation a été prise en main par un jeune homme local qui parlait un peu anglais et le maire du village nous a permis d'échanger du carburant contre une partie de nos provisions (heureusement, nous en avions pris suffisamment pour faire face à une telle situation). Alors que nous étions sur le point de partir, le jeune homme nous a supplié de l'autoriser à nous rejoindre. Nous l'avons laissé faire, même si Jim n'était pas très satisfait de la situation, grognant quelque chose à propos d'un précédent et du fait que nous n'étions pas là pour nourrir les animaux errants. Mais je compatissais - quand on reçoit de mauvaises cartes à la naissance, on ne peut finalement pas y faire grand-chose et il faut saisir toutes les chances qui s'offrent à nous pour changer notre destin. Jorge s'est avéré être un bon cuisinier, ce qui était plus que bienvenu après avoir pris des tours de garde dans la cuisine, que ce soit ici ou sur le bateau.
Outre la nourriture, le carburant était notre plus gros problème. Peut-être que Ferguson ne s'y attendait pas après tout, ai-je pensé, alors que nous comptions les litres que nos machines allaient engloutir en cours de route. Les gens pensent que la guerre se résume à des tirs et à la prise d'objectifs, mais ils se trompent : la guerre (ou toute opération de combat) est une question de logistique. On ne peut pas se battre sans eau, sans carburant et sans munitions, et ces trois éléments étaient tous en quantité limitée, même si le voyage était censé durer trois ou quatre jours. Normalement, il faut environ huit heures pour aller de la côte nord à Barcelone, mais les blindés ne sont pas seulement lents, ils sont aussi très, très assoiffés. Nos Pumas étaient - en théorie - capables de faire le trajet avec un seul plein, mais comme toute personne familière avec le sujet vous le dira, en cas de combat, la consommation augmente de façon exponentielle et nous ne pouvions prendre ce risque.
Malheureusement pour nous, le danger augmentait au fur et à mesure que nous nous enfoncions en Espagne. Des visages déformés par la cupidité et la colère nous suivaient à chaque instant, la peur motivant presque toutes les décisions de ces habitants. L'inconvénient majeur de traverser un territoire aussi instable est que chacun amasse ce qu'il peut et, alors que nous nous dirigions vers le sud au deuxième jour d'un voyage supposé en durer trois, il devenait de plus en plus difficile de faire du troc. Ce n'était qu'une question de temps avant que nous ne tombions sur des gens suffisamment désespérés pour tenter l'impensable.