Entrée 36 - Mercenaires, bars et chars d'assaut
Si vous voulez faire des affaires en Afrique du Nord sans vous embarquer dans toutes sortes de formalités administratives et sans être milliardaire, l'Algérie est un endroit idéal. Bien que Dubaï et d'autres villes soient également des options, celles-ci sont davantage réservées aux grandes entreprises qui ont suffisamment d'influence pour obtenir les faveurs des autorités malgré leurs pratiques pas toujours très légales.
Alger est différente. C'est une ville cosmopolite à tous points de vue et le port est sûr. Mais en même temps, il y règne aussi une atmosphère sauvage et libre que les mercenaires aiment tant. En d'autres termes, si vous avez l'intention d'ouvrir une nouvelle succursale pour votre affaire n'importe où entre Le Caire et Nouakchott, vous irez à Dubaï. Si vous voulez engager quelques mercenaires pour garder votre laboratoire biologique illégal au milieu de nulle part, vous allez dans un bar miteux d'Alger.
C'est là que nous nous sommes retrouvés peu après l'amarrage de notre navire. Pendant que l'équipage faisait l'inventaire des provisions, les troupes de Perihelion se sont dispersées en groupes (généralement dirigés par quelqu'un qui était allé au moins une fois sur la côte des Barbaresques), cherchant des endroits pour se détendre tels que des bars, des bars à strip-tease et des bars à chicha. Je ne pouvais pas les blâmer. Heureusement pour nous, de nombreux vétérans que nous avions embauchés avaient l'expérience nécessaire, car l'armée américaine maintient une forte présence dans le pays, surveillant de près son industrie pétrolière développée. Ce n'est pas parce que la moitié de l'Europe a ostensiblement renoncé au pétrole que le reste du monde l'a fait, et certainement pas les bons vieux États-Unis d'Amérique.
Espinoza et moi-même avions trouvé un petit endroit à l'écart de la zone principale où les mercenaires avaient l'habitude de se retrouver. Le calme était exactement ce que le médecin nous avait prescrit après ces deux jours de folie, et les premiers verres sont descendus très vite. Nous n'en étions pas au point d’être soûl, non monsieur – mais bien assez éméchés pour pouvoir retourner au bateau à temps et entiers. Comment avez-vous fait, me direz-vous ? Il y a un truc tout simple : vous dites au barman que c'est exactement ce que vous voulez faire et vous lui donnez un pourboire suffisamment important pour le dissuader de vous faire boire toute la nuit. Le code du barman et tout ça.
En fin de compte, le whisky nous a détendus et nous avons parlé de toutes sortes de choses, dont la plupart ne me reviennent même pas en mémoire, et Espinoza... Gail, elle ne se souviendra pas non plus, je pense, en la regardant dormir à côté de moi pendant que j'écris ces lignes. Elle ronfle plus que moi, sérieusement. Ce n'est pas quelque chose que j'écrirais habituellement dans un journal mais, après tout, qu'est-ce que la vie si ce n'est une série de moments fugaces, des scènes uniques du film qu'est votre existence ? Chacune passant plus vite qu'on ne cligne des yeux.
Il est tôt le matin et une notification apparaît sur ma tablette. Apparemment, Ferguson vient en personne pour superviser les opérations, ayant déjà négocié une aide partielle de l'armée algérienne. Cette femme ne cesse de m'étonner et il en va de même pour notre budget et notre influence. On dit que tout est à vendre dans cette partie du monde si le prix est bon, mais engager une compagnie de soldats algériens pour nous escorter jusqu'à la frontière ce n’est plus vraiment de l’argent de poche.
C'est là le problème, n'est-ce pas ? Nous devons parcourir trois mille kilomètres vers le sud-est tout en traversant certaines des régions les moins stables de la planète. Et ce n'est qu'un début. Devant nous, le Sahara - le plus grand de tous les déserts et une région sauvage impitoyable où peu de gens osent s'aventurer. Je n'ai absolument aucune idée de la façon dont nous allons nous en sortir et je ne sais pas si cela en vaut la peine ou si ce ne sera qu'une vaste chasse aux oies sauvages. Seul le temps nous le dira.